Chroniques du Midwest

J’avais envie dans cet article de revenir sur certains points, certaines histoires ou actualités qui courent autour de moi, bref, ce qui nous touche, ici, dans le Kansas, en plein centre des Etats-Unis. Nous sommes bien loin des rêves stéréotypés que l’on se fait de l’Amérique. En arrivant au Kansas, j’avais déjà ressenti un énorme décalage, un choc culturel. Mais ce choc est loin de se dissiper et s’intensifie, tant nous sommes confrontés, de plus en plus à des faits irrationnels qui nous touchent dans notre vie quotidienne. On n’y a pas forcément fait attention, mais peu à peu, en 4 ans de vie au Kansas, certaines choses ont changé : une sorte de glissement vers un état de fait, et ce qui se passe avec les pré-élections n’est pas là pour me rassurer.

Je vous énonce 3 faits, qui me touchent de près ou de loin dans mon quotidien, de l’actualité brûlante, à quelques histoires glanées autour de moi : aujourd’hui, je vous parle des armes sur les campus, les budgets des écoles et une histoire de gens ordinaires. Je vous expose des faits, sans porter de jugements que je garde pour moi, juste pour que vous compreniez que parfois, la fiction rattrape la réalité.


Les armes sur les campus universitaires

C’est une loi qui a été votée en premier au Texas, et puis elle est arrivée au Kansas. Le port d’armes va être autorisé sur les campus au Kansas. Pourquoi ? pour assurer la sécurité de chacun soit disant. Autant vous dire, que la majorité des gens sont très inquiets mais seulement 20% y sont opposés. Cette loi a été proposée par un député puis votée. Au delà de l’émotion qu’elle soulève, cette décision est lourde potentiellement de conséquences. On a du mal à comprendre la logique, et de nombreuses personnes s’en inquiètent : l’effet sera-t-il inverse à l’effet escompté par ces politiciens ?

La loi a prévu la fronde : si les universités ne veulent pas appliquer cette loi, il leur est demandé de mettre à l’entrée de chaque bâtiment, un portique de sécurité, ça ne va pas faire baisser les frais d’inscription.

Aujourd’hui, je me suis rendue sur un campus, et je peux vous le dire, la première chose qui a attiré mon attention, a été ce sigle collé sur TOUTES les portes d’entrée des bâtiments. Ils vont avoir du boulot à tout enlever.

gun

Pour en savoir plus : http://www.npr.org/sections/ed/2016/03/22/470717996/kansas-campuses-prepare-for-guns-in-classrooms


Le budget des écoles publiques

Si il y avait une chose que nous savions, en arrivant au Kansas, c’était que les écoles dans notre school district et plus largement dans notre county étaient bonnes, en tout cas, bien meilleures que notre voisin, le Missouri.

Et puis, nous avons vu, se dégrader quelques petites choses : au départ pas grand chose, des petites restrictions budgétaires minimes, qui somme toute, n’étaient pas trop graves.

Cette année, cependant, nous avons commencé à mesurer ce qui était vraiment en train de se passer.

Il y a près de 6 ans, un nouveau gouverneur a mis en place sa politique budgétaire : en gros : diminuer les impôts des entreprises pour les attirer. Sauf, que le nombre d’entreprises n’a pas décollé et que le manque de recettes pour l’état a entraîné un gros déficit. Celui-ci s’est intensifié au point d’entacher largement les budgets de l’éducation (toujours les premiers à être touchés, ici aux US).

Cette année, c’est plusieurs choses qui nous ont sauté aux yeux : de nombreux jours chômés tout au long de l’hiver (pratiquement, chaque semaine de janvier et février, il y a eu un jour en moins : quand les profs sont en réunion, ça évite de les payer), les budgets des programmes de musique fortement diminués, le programme International Baccalaureat menacé et le plus grave est qu’il a été question que les écoles ne ré-ouvrent pas à la rentrée en août, si un budget n’est pas voté. (voir cet article).

L’inquiétude reste surtout que le gouverneur n’entend pas changer sa politique fiscale. Le mécontentement monte, même dans le camp républicain.

A lire : un article du Kansas City Star 


Chronique du Midwest

Et puis, je voulais vous raconter une histoire toute simple, qui m’a profondément choquée / touchée, en fait. Choquée parce que je la trouve très triste et le reflet d’un manque total d’éducation, mais aussi et surtout d’une mentalité qui pèse, ici en plein centre des Etats-Unis. Loin de moi, l’envie de lancer un débat, mais juste, je vous énonce cette histoire, pour vous faire comprendre que parfois, les Etats-Unis, c’est aussi un peu le tier monde.

C’est l’histoire de Jessy (nous l’appellerons comme cela) : elle a la quarantaine, elle a eu son fils à 19 ans : un amour pas sérieux qui s’est terminé avec un bébé, un mariage et 10 ans après, par un divorce et le regret de ne pas avoir été au collège (l’université). Le bébé a grandi et est devenu un homme, de 21 ans qui a terminé son collège, lui. Il a fricoté avec une fille, et 9 mois après, bingo, il y avait cette adorable petite fille qui a fait la joie de sa jeune grand-mère.

Trois passages chez le juge après, la garde partagée a été déclarée. tant mieux pour elle, mais un bébé qui ne verra jamais ses parents ensemble. Et puis, le garçon a rencontré une nouvelle fille et dans la foulée s’est installé avec elle. Sauf que cette nouvelle fille, Betty, elle a déjà un petit garçon de 2 ans d’un père X, qui l’a laissé tomber après 1 ans pour une sombre histoire de drogue… et maintenant, Betty est enceinte mais d’un autre qui ne donne plus signe de vie .. Ils ont emménagé ensemble. Ce jeune couple va démarrer sa vie de couple, avec 3 enfants, qui n’auront pas leurs 2 parents, 3 enfants non désirés, aimés certainement.

Ce genre d’histoire n’est pas rare : manque d’éducation sexuelle, manque d’éducation tout court, manque d’accès à la contraception, enfants non voulus, enfants quand même nés, mal nés .. dur de commencer une vie comme cela. Je ne suis pas là pour entamer un débat sur l’avortement : ici dans le Midwest, c’est un sujet complètement tabou, tout est fait pour dissuader les gens, mais à vrai dire, ce n’est même pas la peine, car ce n’est même pas une option pour eux ici, c’est complètement impensable. Alors allez comprendre pourquoi, il n’y a pas plus de prévention … encore une fois, un grand choc culturel.

Je connaissais déjà son histoire à elle, sa petite fille, les aller-retours chez le juge… L’autre jour, c’est l’histoire de son fils qu’elle m’a racontée. J’ai écouté complètement éberluée, je n’ai pas émis de jugement, je l’ai laissée me raconter, l’histoire de son fils, toute sa vie. Jessy, c’est ma femme de ménage, cela fait 4 ans que je la vois toutes les semaines, elle gère son business, a 2 employées, travaille 50 h par semaine. Elle a le coeur sur la main, elle a trois chats, deux chiens et un lapin, elle a aussi cette petite-fille qui maintenant illumine sa vie.

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16 Comments

    1. says: Isabelle

      oui mais à la fois, ici ce qui est le normal, arrive aussi peut-être pas dans la Baie, mais pas très loin. Il suffit d’aller dans la central Valley et là, tu retrouveras des histoires de ce genre. APrès, quand nous étions à Cupertino, les écoles avaient de sérieux problemes de fond aussi : par exemple, je n’ai jamais eu la possibilité de faire prendre le bus scolaire à mes enfants, ici oui. Ils n’ont jamais pu apprendre une seconde langue en middle school, ici oui et même en élementary.. La californie avait de sérieux problèmes de déficit mais eux, avec le nouveau gouverneur ont rétabli l’équilibre, nous, nous sommes encore dans la phase descendante … jusqu’où ?

  1. says: Gwen C.

    Sensible… J’ai pleuré à la fin de ton article (je pleure encore du coup)…
    C’est fou cette Amérique à deux vitesses… Ce pays si moderne et arriéré à la fois… Ces gens toujours souriants avec des histoires si difficiles…
    Je suis touchée par l’histoire de Jessy…

    1. says: Isabelle

      SOn histoire, elle me l’avait en fait raconté depuis longtemps et chaque fois, elle me parle de sa petite fille, c’est juste que là, c’est l’histoire du fils qui a surgi … je trouve cela énorme et tellement représentatif de ce qui se passe .. il y en a plein d’histoires de ce genre .. de grossesse surprise, à croire que c’est une fatalité..

  2. says: Poppy

    Je n’ai pas pleuré, mais presque … des histoires comme ça, on en entend souvent. Je plussoie tout à fait au niveau de la prévention et de l’éducation sexuelle, il n’y en a pas ! J’avais regardé un épisode de Last Week Tonight la dessus qui m’avait bien ouvert les yeux et puis avant hier j’ai ecouté une super émission sur NPR …! ça fait bien réfléchir sur les US, sur les différences entre les états … et c’est vrai que dans le Midwest on est pas hyper bien lotis !

    1. says: Isabelle

      l’emmission de NPR, c’est pas celle de Fresh Air ? Terry Gross sur un livre : The Girl and sex ? je l’ai entendu par bribe aussi et j’ai pas mal haluciné .. si c’est la même … et dans le Midwest, mais aussi au Texas, c’est assez hallucinant !

      1. says: Poppy

        Oui c’était Fresh air et ce bouquin : The Girl and sex, j’ai presque laché ma fourchette ! J’aime beaucoup cette émission que j’écoute le midi, les sujets sont très souvent intéressant 🙂

        1. says: Isabelle de FromSide2Side

          on a les mêmes références .. J’aime bien aussi Tom Ashbrow de Boston et surtout le Diane Reem Show : elle va me manquer son round up de l’actualité avec ces journalistes si brillants. J’adore cette radio, mais j’ai vu en 5 ans s’appauvrir ses programmes : plus de Science friday, plus de Talk of the nation, plus de Michel Martin… le lot de la radio publique …

  3. says: Graziella

    Bonjour Isabelle,
    J’ai adoré lire ton billet, je te remercie pour ton impartialité mais aussi pour ton sens de l’humanité!!
    Mon fils qui s’intéresse à la géopolitique m’avait déjà expliqué que les EU au niveau de la santé et de la mortalité infantile sont dans les profondeurs du classement de l’UNESCO, et quand tu entends un candidat à la présidentielle dire qu’il faut punir les femmes qui avortent, sans commentaire…
    Je ne veux pas débattre sur ces sujets moi non plus, chacun son opinion.
    J’ai entendu également que les pays comme les EU certes connaissent le plein emploi mais n’ont pas de salaire minimum, ils comptent remédier à cet état de fait car ils constatent que les inégalités se creusent, plus qu’en France par exemple (qui est un pays qui pour le coup n’arrive pas à enrayer la courbe ascendante du chômage).
    Alors je me pose une question: quel serait le meilleur système dans lequel chacun pourrait avoir droit à la santé, l’éducation et à une vie quotidienne meilleure?. Est-ce que nous sommes condamnés à voir évoluer une société qui se paupérise de plus en plus?.
    J’avoue que je ne sais plus quoi penser…Mais que l’école ne puisse pas rouvrir en août par manque de moyens financiers, j’avoue que cela fait froid dans le dos!!

    1. says: Isabelle de FromSide2Side

      Merci pour ton commentaire… Il y a un salaire minimum aux US ! ça existe.. en ce momen, il parle de le mettre à 15$ en Californie .. je ne sais pas où ils en sont

      1. says: Graziella

        Oui j’ai entendu cela également car ils s’aperçoivent que malgré le faible taux de chômage les inégalités se creusent toujours plus!

  4. says: Véronique

    Bonjour Isabelle,
    merci pour cet article qui, sans que tu exprimes d’opinion très marquée, est finalement très personnel 🙂
    Habitant en Californie depuis août 2015, je suis confrontée (par voie de presse principalement) à ces sujets, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça me choque ! Disons plutôt, ça me bouscule dans mes convictions, dans ce que je croyais “évident” pour des pays “riches”…
    Et finalement, j’ai le sentiment que jamais, avec le “background” européen que j’ai, je ne comprendrais ces situations. C’est un peu déprimant, un peu comme si tout un pan de culture me restera à jamais fermé…
    Bref, merci encore pour ton regard sur le quotidien ici.

    1. says: Isabelle de FromSide2Side

      Disons que quand j’étais en Californie, j’étais comme toi, même si nous étions à l’époque confrontés aux problèmes de la faillite de l’état Californien et des problèmes de founding des écoles. En arrivant au Kansas, j’ai découvert une autre amérique : une amérique que j’adore tant elle est authentique, mais aussi une amérique différente, hyper religieuse et parfois, trop dans l’exces. Il y a une chose que j’aime aussi ici, c’est la gentillesse des gens. Je sais bien que dans ma vie, je suis confrontée à des gens ayant des opinions et visions de la vie totalement différentes des miennes, mais on arrive à cohabiter.. à condition peut être de ne pas parler de certains sujets … impensable pour eux de comprendre que je n’ai pas la même opinion qu’eux (je l’ai testé avec mes voisins…. Avec un ton paternaliste, ils m’expliquaient des trucs … j’ai laissé tombé …

  5. L’histoire que tu racontes fait mal au cœur et malheureusement, j’ai croisé pas de gens avec des situations dans le même style sans trop savoir quoi faire.
    Concernant les armes, on a le même problème au Texas et c’est quelque chose qui m’angoisse beaucoup ! (je n’aime pas particulièrement l’idée que mon mari enseigne à certains tarés armés !). Quand la loi de l’open carry est passée, cela a finalement eu un effet positif, car plein de magasins ont alors interdit les armes dans leurs enceintes (carry et concealed), mais là je pense qu’on va vers le pire. Les universités n’ont pas eu le droit de veto et le corps estudiantin soutient à fond cette réforme. Certains profs ont démissionné sans aucun effet…Bref, cela nous fait nous interroger sur notre présence ici…
    Sinon, pour le budget des écoles au Kansas, je ne sais pas si c’est toujours le même problème car la vidéo est un peu vieille, mais John Oliver avait réalisé un sujet assez drôle sur les problèmes de budget au Kansas : https://youtu.be/OGtb1YfJ2vo

    1. says: Isabelle

      merci pour ton témoignage ! je suis comme toi : à un moment, quand ton environnement n’est plus en adéquation avec tes propres valeurs il faut se demander si il faut rester .. pour le moment on reste .. mais je me sens de moins en moins cette adéquation : je ne suis pas la seule : je vois de nombreux américains complètement désorientés avec la politique de l’état. Au niveau de l’état, cela devient même une bataille entre le sénat et la suprem court, vue le nombre de conneries du gouverneur. Il ne sera pas réélu dans deux ans mais il reste deux ans et avant, un plus grand danger qui nous guette : la nomination républicaine. Et crois moi je flippe !
      Merci pour le lien vers John Oliver, je vais aller me régaler de l’acouter

  6. says: Lessmartiesauxus

    Comme toi Isabelle, ces sujets tournant autour de l’education sexuelle me laissent sans voix… On ne parle de rien, TOUT est juste tabou, le puritanisme a la vie longue et y est pour qqchose.
    Et pour en voir discuté avec des américaines, le niveau d’education sexuelle est directement corrélé à la classe sociale aux US apparement.
    C’est tellement surprenant et attristant pour nous français d’entendre des histoires pareilles !!
    Avant d’arriver aux US j’avais l’idée que les naissances non souhaitées etaient surtout l’apanage des pays en voie de développement, je suis tombée des nues en arrivant et tjs medusee de voir des panneaux anti-avortements au bord de l’autoroute ici… Invraisemblable. Le sexe un peu comme l’alcool (d’ailleurs) c’est le démon ici… Et pour les français ce n’est pas comme cela qu’on l’envisage, qu’on en parle, et qu’on agit !

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