Comment garder le français quand on vit à l’étranger

ou comment gérer le bilinguisme de ses enfants ?

Le challenge défi depuis que nous sommes à Kansas City est de garder le français de nos enfants. Pas facile et c’est un investissement de tous les instants.

Passant toute leur journée dans un environnement anglophone, pensant, rêvant et parlant anglais les ¾ de leur temps, leur cerveau se façonne dans une autre langue.

comment garder le français quand on habite aux Etats-Unis

On nous avait dit en arrivant à Taiwan, il y a 15 ans, que ce serait formidable, que nos enfants (à l’époque, nous n’en avions que 2), apprendraient très vite une autre langue. C’est vrai qu’en rentrant en 2003, nos deux aînées étaient bilingues et le défi avait été de leur garder l’anglais. Ce qui n’avait pas été trop difficile puisqu’elles avaient pu intégrer la petite école internationale publique de Grenoble.

Arrivés en 2008 en Californie, le choc n’avait pas été trop grand pour mes deux grandes, puisque même si leur anglais s’essoufflait un peu, elles avaient déjà une base solide. Pour ma 3ème, elle avait tout à apprendre. Quant à mon petit loup, lui, il en était encore à balbutier le français.

C’est en arrivant à Kansas City, que la donne a changé : Il nous fallait penser au français. Comme il n’y avait pas d’école française ici, les enfants n’écrivent plus le français et j’essaye tant bien que mal de les inciter à lire et à suivre une fois par semaine un cours : au moins pour les deux plus petits.. pas facile…

Alors comment garder le français quand on vit à l’étranger ?

Comme Asterix dans un certain village gaulois, nous avons mis en place une stratégie familiale pour sauvegarder notre langue maternelle : nous sommes donc rentrés en résistance contre l’invasion de l’anglais à la maison.

le français 

Ma mission est donc devenue : Me faire le défenseur de la langue française.

C’est maintenant une habitude : à la maison, on ne parle que français. Ce principe qui semble stricte, n’est pas venu d’un seul coup mais s’est imposé rapidement comme une règle implicite. Une sorte de tradition et règle purement familiale : cela implique une vigilance permanente car passer à côté une fois, légitimise la violation permanente de cette règle …

Comment la faire respecter, sans passer pour une mère psychorigide ? c’est simple : 3 points

 1-On ne parle que français :

Le ton est donné : à la maison, on ne parle que FRANÇAIS… ce qui étonne bien des gens ici : ok, il y a des exceptions : quand nous recevons du monde : des copines ou les amis, voire les couples mixtes, il est évident, que le français passe au second rang.

Je ne me suis pas rendue compte non plus, mais il faut à mes enfants, un petit temps de récupération en rentrant de l’école : comme si, il fallait qu’ils tournent un bouton, pour se remettre à penser en français. Heureusement, ce moment ne dure pas trop longtemps.

Comment aborder ce moment ? : ne pas faire la mère hélicoptère et les assommer de questions à la sortie de l’école.

2-On ne mélange pas les langues dans une même phrase.

Et oui, c’est une constante et même si c’est très mignon de les entendre nous faire des phrases avec des mots en anglais : Si on ne se tenait pas à cette règle et on ne faisait pas attention, on aurait rapidement, un langage incompréhensible des deux côtés.

Exemple :

Les mots directement pris de l’anglais

Maman, j’ai décidé de hanguer out avec Abby … Ok, je te droppe chez elle.

J’avais trouvé randomly ce livre … STOP – tu traduis

Vite, Maman, je suis in a hurry .. not me ..

La météo : grand sujet de conversation puisqu’elle change très souvent : attention, it’s feezing today : on annonce une icy storm avec du sleet. Oh oui les températures repassent en dessous des fourties (sous entendu, en dessous de 40°F soit en dessous de 4°C).

Quel mess alors ! J’arrive pas à figurer out.

Quand on parle de l’école, on dit qu’ils sont en seventh grèède et non en 7ème ou en second grèèède et non en Seconde .. qui correspond en fait à un CE1 … pratique non ?

Côté cuisine : on ne mange pas de la turkey à Thanks giving, mais de la dinde, farcie au stuffing avec des mashed potatos : vous me suivez ou vous voulez la traduction ?

Dernier dialogue : “la fille de la maîtresse est trop bossy” “Astrid s’est fait kicked out de l’école car elle bulliait Sofia”.

Le détournement des mots

Mon fils qui me disait : Maman, je suis confuse, cela me distracte.

Il s’écrit aussi : Je manque papa … Ok, c’est I miss Dad mais en français, c’est papa me manque ..

Les faux amis

Maman, tu assumes cela, mais je ne suis pas d’accord.

Il faut aller chercher du gas à la station service.

Les termes scientifiques qu’elles ne savent pas traduire :

Le DNA, Sodium chloride …

Les termes musicaux : ma seconde joue donc du French Horn (du cor) et ma 3ème du Oboe, prononcez OBOÏ …

et puis franchement, a-t-on besoin de traduire : Lunch box, hot dog, early dismissal .. c’est vrai que c’est toujours dit avec l’accent dans la phrase .. ça va pas ..

3-les stratégies employées :

suivant l’humeur, suivant le moment, nous avons mis en place des façons pour corriger immédiatement.

  • feindre de ne pas comprendre
  • arrêter l’élan de l’autre en lui disant qu’on ne comprend pas,
  • lui demander une traduction immédiate..
  • chercher ensemble la meilleure traduction

Et quand par hasard très rarement, ok, parfois, ça m’arrive de mettre un mot d’anglais dans une phrase, parce-que c’est plus simple, parce-que le sens du mot est très explicite en anglais et que je n’ai pas besoin d’employer 3 mots pour dire une chose, et bien, ce sont mes enfants qui me corrigent et qui disent : “hein hein ! Maman !” Idem pour mon mari .. c’est sur, que c’est plus simple de parler du trail qui passe devant chez moi et de dire que j’aime bien aller biker.

4-on a le droit de dire une phrase en anglais, si on cite quelqu’un :

Ben, oui, je ne vais pas les interrompre, quand elles me racontent d’un ton enflammé, ce que leur prof leur a raconté .. la phrase vient toute seule, en anglais : on ouvre les guillemets, tiret, on parle et on ferme les guillemets, et la suite de l’histoire reprend en français ..

Dans la pratique : A 4 enfants, 4 réactions différentes, correspondants peut-être à leur degrés d’évolution dans leur propre langue :

  • l’aînée est celle qui mélange le plus, : elle s’en fout : mais elle écrit très bien le français … alors … (c’est elle qui me conjugue le verbe hanguer outer et qui me mets des “genre” et “comme” trois fois dans une phrase …)
  • la seconde, celle qui raconte le plus,
  • la 3ème, celle qui a le plus d’accent quand elle met un mot anglais, et qui nous a trouvé des petits noms : je suis maman Dodley .. elle nous parle souvent de dude …
  • le petit dernier, lui me demande constamment les traductions en français des mots qu’il a appris à l’école et vous cite tous les personnages de Minecraft avec l’accent…

Il n’empèche que nous arrivons à garder ainsi notre français. Les enfants le savent, à la maison, on ne parle que français et au final, ils en tirent une certaine fierté. Ce petit jeu nous apporte une certaine complicité, on en rigole souvent… et cela nous permet de garder plus de lien avec notre pays d’origine, notre culture et notre langue.

Cette petite gymnastique permanente entre les deux langues a permis au final de leur faire garder ce réflexe de ne parler que français avec nous et surtout de ne pas le perdre et de continuer à le parler correctement.

Je sais ce n’est pas évident pour tous et je connais des familles pour qui cela n’a pas été possible : loin de moi l’idée de les juger : chaque famille a sa propre histoire et dynamique. Nous avons trouvé les nôtres en agissant ainsi, mais ce n’est pas facile et c’est un challenge.., euh, pardon, un défi, un combat de tous les jours.

Et je ne vous parle pas du français écrit … là, c’est peine perdue pour les deux plus petits … j’essaye mais quand je vois la complexité pour écire notre langue, je me sens assez découragée d’avance.

Mais, parfois c’est le français qui s’invite à l’école ….

Et parfois, c’est le français qui surgit sans prévenir et qui s’invite à l’école :

Je n’avais pas compris pourquoi mon fils avait faux à cet exercice de math. Lui, il avait décidé, qu’ils en auraient 4 chaque mois ..

quand le français s'invite à l'école

A vrai dire, j’avais même envie de demander à la prof.

Et puis, l’autre jour au détour d’une conversation avec une amie française qui a une petite fille qui est dans le même grade niveau que mon fils, elle me parle d’un exercice de math où sa fille a eu faux et qu’elle en avait fait la remarque à la prof … et oui, nos deux enfants ont fait la même faute : ils ont pris le sens du mot sous le mot français : décider : prendre sa propre décision et non, deviner .. comme quoi, les faux amis sont partout et ressurgissent même là, où on ne s’y attend pas.

Nos enfants entre deux langues et deux cultures ont de la chance certes de maîtriser deux langues mais ce n’est pas toujours facile de vouloir à tout prix leur garder les deux. Même si ils développent des sacrées capacités, cela les handicape parfois.

Join the Conversation

24 Comments

  1. says: Sara

    Pas facile de garder deux langues… On n’y est pas encore mais je garde en tête tes conseils pour maintenir le français une fois que les filles iront à l’école américaine (y’a pas d’école française ici non plus…).
    Merci pour ces exemples de franglais et de français dans l’anglais. J’aurais fait la même faute que ton fils pour l’exercice de Math !

  2. says: Marinouchka

    Vous êtes courageux de faire tout ça pour que vos enfants gardent leur français. Quand je vois qu’en même pas 2 ans, on mélange déjà les 2 langues avec mon mari (et pourtant non seulement, on est loin d’être bilingue, mais en plus j’écris beaucoup en français), ça doit être dur de garder un français pur ! Surtout pour les enfants !
    Sinon, pour l’exercice de maths, même avec la traduction, je n’aurais pas trouvé…:-s Pour moi, si ils reçoivent 12 nouveaux bouquins chaque mois, ils ont juste 12 nouveaux bouquins par mois…Les autres sont devenus vieux entre temps, non ?? (oups, il va falloir que je me remette aux maths ! ^^)

    1. says: Isabelle de FromSide2Side

      ah oui, faut revoir les maths .. pour le français, ben justement avec mon blog, cela m’incite à le manier et à le garder ..

  3. says: Kenza

    C’est passionnant ! En tant que prof, je ne peux qu’aimer. J’ai aussi observé de très près le quotidien de plusieurs familles et tu as raison, il y a autant de configurations que de familles. Je me demande ce que je ferai si j ‘ai des enfants… conserver le français puisque c’est ma langue et mon métier ou céder devant la bataille que ça doit être…

  4. says: Margarida

    Bonjour,

    Moi je trouve que c’est très bien de ne pas vouloir mélanger les langues. C’est vrai que parfois c’est drôle mais il me semble que cela peut donner, à long terme, des langues moins parfaites, moins bien nourries (en vocabulaire, syntaxe) et ce, que ce soit pour le français ou l’anglais. Ce n’est pas évident tous les jours mais je trouve que vous avez très bien fait d’instaurer ce système de “sauvegarde” du français.. en plus, vous avez l’air de vous y prendre de manière amusante et sans prise de tête !

    Belle journée,

  5. says: Vincent

    Même si je n’ai pas (encore) d’enfants, l’énergie que vous mettez en place pour garder le français (dans un environnement entièrement anglophone) m’impressionne. Il est important de garder les 2 cultures et les 2 langues, ça ne peut que leur apporter un avantage pour plus tard. J’aimerai bien que mes (futurs) enfants connaissent également les 2 langues.
    Ici par contre, on a bcp de difficultés à trouver une école avec les cours en anglais et quand il y en a une, elle est prise d’assaut.
    Pour l’exercice de math, j’aurai fait exactement la même erreur. J’ai dû le relire plusieurs fois pour comprendre mon erreur

    1. says: Isabelle de FromSide2Side

      Pour l’exercice de math, je suis allée en parler à la maitresse, une fois que j’en avais vraiment compris le sens : elle a été très interessée par ce point de linguistique.

  6. says: Kestrel

    Ici aussi, francais a la maison et anglais en dehors. Et ca a l’air de marcher puisque les 2 parlent couremment les 2 langues alors qu’elles n’ont jamais habite en France.
    Mais comme vous je cherche la solution pour leur apprendre a ecrire et a lire.

    1. says: Isabelle de FromSide2Side

      merci pour ce témoignage .. oui, pour faire écrire et lire, ce n’est pas évident et ils n’ont pas beaucoup de temps pour cela

  7. says: mariel

    chez nous, le francais est forcement la langue de la maison, je n’imagine pas parler anglais à la maison, meme si je parle anglais a mes filles a l’exterieur.
    Par contre, les mots en anglais s’immiscent dans beaucoup de nos conversations, en particulier quand on parle d’ecole.
    Par contre pour lire et ecrire le francais, j’ai decidé de prendre les choses serieusement (bon on a pas encore commencé): je compte bien leur trouver un cours de francais, et quand je parle de francais je parle de grammaire et d’orthographe pas juste un cours pour practice son french 🙂 Si l’alliance Francaise n’en propose pas (ils ont pas l’air d’avoir envie de repondre à mon mail), je m’imposerais de donner moi meme ces cours à mes filles.
    Et pour rendre les choses un peu plus fun, on les a abonné à des journaux francais, je pense que si c’est moi qui doit me coller aux cours, je regarderais aussi sur le net s’il n’y a pas des sites avec des videos en francais, autres des des dessins animés, des petits documentaires sur la france par exemple.
    Et sinon, quand tu dis, on ne parle que francais à la maison, c’est aussi entre enfants? parce que les miennes se parlent de plus en plus en anglais, et je ne vois pas comment je peux les obliger a se parler en francais 🙂

      1. says: mariel

        on est en Nouvelle-Zélande. Mes filles ont 9 et 7 ans.
        Pour les phrases en franglais, en general, je les laisse dire, et je traduis, parce que souvent elles utilisent des mots anglais dans des phrases francaises non pas par faignantise mais parce qu’elles ont oublié ou qu’elle ne connaissent pas le mot en Francais.

  8. says: Emilie

    merci Isa pour cet article encore instructif 🙂 Pour l’instant nos 2 monstres sont au lycée français de Boston, mais je pense au futur … et donc je garde tes règles sous le coude !

  9. says: Margot

    Bonjour,
    merci encore pour ce chouette article dont je n’aurais pas compris les enjeux il y a quelques mois encore. Maintenant depuis 7 mois à Washington DC, nous avons choisi de mettre nos 3 enfants dans des écoles américaines. Cela m’a fait sourire quand vous avez évoqué l’expression “early dismissal”, que j’ai découverte en arrivant ici. Mais comment traduire ?
    Par ailleurs, sans avoir encore une bonne maîtrise de l’anglais, nous avons malgré tout pris conscience très rapidement qu’il n’y avait désormais qu’à la maison que nos enfants parleraient, et apprendraient le français. Du coup ça nous met une pression de dingue pour le parler très correctement, et à vrai dire, ce n’est pas plus mal. Sur ce j’y vais, c’est snow day demain, j’ai besoin d’énergie pour faire face à mes enfants déchaînés par la perspective !

  10. says: Sabelle

    Bonjour Isabelle,

    Merci pour ton article et ton site qui est une mine d’or pour moi.
    Je l’avais découvert pendant les preparatifs de notre déménagement dans le Michigan. Bravo pour son contenu riche et agréable!
    Nous vivons aux états -Unis depuis 4 mois maintenant et mon aîné de 6 ans en 1st grade ne parle quasiment plus qu’anglais. Je lui réponds en français et j’essaie de lui faire comprendre pourquoi il est important que nous continuions à parler en francais. Il comprend et essaie, mais dur pour lui de s’y tenir. Heureusement, son petit frère en Prek4 ne maîtrise pas encore l’anglais et donc communique à la famille en français.
    J’adore l’anglais et j’aime bien le parler. En fait mon mari et moi le parlions beaucoup en France, surtout quand nous avions nos conversations de grand. D’où le fait que c’est encore plus challenging ( je n’ai jamais su traduire ce mot en Francais…) pour nous d’imposer uniquement le Francais.
    Les garçons sont scolarisés dans le système americain. Nous sommes en contrat local donc pas de date de retour imminent, mais nous souhaitons qu’ils conservent la chance énorme d’être francais et de parler la langue.
    Je pensais introduire le CNED en Janvier mais je ne suis pas sûre d’avoir la patience et la rigueur nécessaires… mais il faudra bien trouver le moyen de conserver cette richesse!
    A bientôt Isabelle:-)

  11. Un grand bravo pour tous vos efforts pour essayer de garder la pratique de la langue française à la maison ! Cela demande peut-être certaines contraintes et une discipline mais cela sera un grand atout pour vos enfants plus tard !

    Je trouve cela d’ailleurs très bien qu’ils jouent le jeu 🙂 J’ai beaucoup d’amis qui ont des parents bilingues mais qui ont rejeté une des langues pendant l’enfance. Au final, ils ont perdu une grosse opportunité d’apprendre une langue quasiment sans efforts…

    De mon côté, je suis aussi une expat’ et 50% de mon travail s’effectue en anglais. Du coup, il m’arrive parfois de placer des mots en anglais au milieu de phrases françaises : “j’ai fait le reporting / on a un meeting / je lui ai envoyé un reminder…”. Je déteste mélanger deux langues différentes mais au final, c’est vrai que c’est plus facile et j’ai du mal à m’en empêcher…

    Bon courage et à bientôt sur votre blog 🙂

  12. says: Ophélie G.

    Quel combat au quotidien ce doit être ! J’avoue que moi-même, j’ai parfois du mal à garder le français pendant toute une phrase. Alors avec des enfants.. Je trouve ça super important de garder sa langue natale, même si dans un univers anglophone, les choses ne sont pas aisées. 🙂 xx

Leave a comment
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.